Deux carte-lettres autographes signées « Jacqueline » à Angelika Kostrowicka [Paris, 4 et 6 janvier 1918], 2 p. In-8° Déchirure à l'ouverture de la seconde lettre (signature manquante sauf une lettre, le « J » de Jacqueline) Petites décharges d'encres, quelques ratures de la main de Jacqueline Apollinaire. Adresse autographe au verso de chacune des deux cartes-lettres.
« Madame Kostrowitzky 10 Villa Lambert Chatou S[eine] et O[ise] ». Bd Saint-Germain 195 Paris 120 4 janvier [19]18 7h30 et 6 janvier [19]18 18 h. DE L'ANCIENNE COLLECTION JACQUES GUÉRIN. Précieux ensemble inédit témoignant des fortes tensions entre Jacqueline Apollinaire et sa future belle-mère au moment de l'hospitalisation du poète, au début de l'année 1918. Nous avons laissé le texte de Jacqueline Apollinaire en l'état.
Première lettre : le 4 janvier 1918. Guillaume me prie de vous dire de l'excuser de n'être pas allé vous souhaiter la bonne année. L s'est couché le 30 après déjeuner, il ne s'est levé que ce matin pour aller a l'hôpital, comme il est militaire, il ne peut pas etre soigner a la maison, Le major de la place la envoyé à l'hopital où il a été trépané [Villa Molière, hôpital militaire complémentaire du Val de Grâce à Paris]. Il a une bronchite, j'espère que ce ne sera pas grave.
Je l'ai eu ces trois derniers jours avec 39 de fièvre. J'irai le voir, il a essayé de vous écrire cet après-midi mais le transport l'a tellement fatigué je suis sûre qu'il ne manquera pas de le faire demain.Je vous embrasse Jacqueline » [Elle rajoute en marge] « Voici son adresse si vous voulez devancer sa lettre. Sous le nom d'Apollinaire. Seconde lettre : le 6 janvier 1918. Malgré votre injustice a mon égard , je vous rappelle si je ne vous l'ai pas dit hier que vous pouvez voir votre fils a l'hopital de 2 à 4 H mais que pendant cette periode de fievre la visite ne pourra durer plus de cinq minutes nos deux visites sont d'ailleurs les seules autorisées.
J [acqueline] » [ajout en haut de la lettre] « Je mets ce mot pour que vous ne m'accusiez pas de vouloir éloigner Guillaume de vous. [manifestement, Jacqueline Apollinaire a des problèmes avec les accents et les majuscules, il est probable qu'elle n'a fait que le minimum d'études à l'école primaire, son style est également quelque peu populaire par exemple avec l'expression : "Je l'ai eu avec 39 de fièvre"]. Gazé pendant la guerre, Apollinaire souffrait d'importants problèmes respiratoires, en plus de l'éclat d'obus qu'il avait reçu à la tempe et qui lui avait valu une trépanation, le 9 mai 1916, à la Villa Molière. Sa compagne Jacqueline, infirmière aux origines modestes, mesurait alors sans doute mieux que personne à quel point sa santé était fragilisée, sans toutefois prendre l'entière mesure du mal, puisqu'elle évoque une bronchite alors qu'il s'agissait d'une congestion pulmonaire, autrement grave. Il fut hospitalisé à l'endroit même où il avait été trépané un an et demi plus tôt, à l'hôpital militaire complémentaire du Val de Grâce.Jacqueline informe ici sa future belle-mère de l'hospitalisation de son fils. De nature irascible et ne supportant pas que son fils vive maritalement avec Jacqueline Kolb (ils ne se marieront que le 2 mai 1918), elle n'a sans doute pas apprécié que Jacqueline ait mis tant de temps à la prévenir de l'hospitalisation de son fils. La réponse de Jacqueline dans la seconde lettre vient confirmer cette hypothèse. Il est d'ailleurs intéressant d'observer la différence de décachetage entre les deux lettres. C'est manifestement ulcérée que Madame de Kostrowitsky ouvrit la seconde, arrachant comme par une étrange coïncidence la signature de Jacqueline.
La tension entre les deux femmes était telle que la mère du poète après sa mort fit mettre les scellés sur son appartement. Il était aussi celui de Jacqueline qui s'empressa de les faire retirer. Précieux autographes [Collection Jacques Guérin], Drouot, 22 novembre 1985, expert Michel Castaing, n°154 (la notice attribue de façon erronée une « double trépanation » - il n'y en eut qu'une en réalité - à la déficience pulmonaire du poète) - Vente d'autographes, Drouot, 5 juin 1992, expert Frédéric Castaing, n°2 (la notice reprend les mêmes erreurs de celle du 22 novembre 1985).
Nous remercions madame Claude Debon pour les renseignements qu'elle nous a aimablement communiqués.