Quand j'étais en France je me souviens d'avoir dit l'Empereur,'je ne me sens étrangère que le jour des morts, tout ce que j'aime, grâce à Dieu vit, et ce jour où chacun va retrouver les morts je m'aperçois que je n'ai rien sous terre'. Aujourd'hui, au contraire, si je devais rentrer en France sans lui, je serais étrangère toujours!
Quelle singulière destinée qui fait que les cours les plus français, les Napoléons, doivent tous jusqu'à présent être déposés dans un cercueil étranger, deux anglais! Je ne puis hélas vous parler d'autre chose aujourd'hui. Mon fils [le Prince Impérial] continue à travailler. Dieu veuille qu'on lui laisse finir ses études, je ne crains rien tant que les agitations stériles ; tout semble préparer son avenir! Mais quelle tâche difficile il a devant lui! Quand le peuple comprendra-t-il la différence qu'il y a entre ceux qui l'aiment et ceux qui l'exploitent! Mon pauvre et cher Empereur s'est usé à la peine, et jamais on ne devinera les secrètes douleurs de ce martyr de trois ans!Seul, il proposait cette émanation divine, le pardon des injures, et Dieu seul sait à quelles dures épreuves il a été soumis. Ma santé est assez bonne mais je ne puis me décider à sortir, les journées passent assez vite. Mon fils vous envoie tous ses souvenirs d'amitié et croyez-bien à tous mes sentiments affectueux.
Eugénie Avez-vous lu ma lettre à l'Évêque de Troyes? L'amitié sincère qui liait la reine Victoria et le couple impérial naît en 1855 lors de l'alliance entre la Grande Bretagne et la France contre la Russie, pendant la guerre de Crimée. Cette amitié résistera au temps et aux vicissitudes de la politique étrangère française, qui conduisirent le couple impérial à trouver l'exil en Angleterre après la chute du Second Empire, en septembre 1870. Dans un ultime hommage au défunt empereur, Victoria fait transférer sa dépouille dans un sarcophage en granit rouge d'Aberdeen, où il repose encore aujourd'hui. À la lecture de cette missive, Eugénie, n'a semble-t-il pas pu retenir son émotion, « cachée [de] tous ».Eugénie évoque en fin de lettre son fils le Prince Impérial qui, en janvier 1875, quitte l'École de Woolwich avec le grade d'officier de l'armée britannique. Trois ans plus tard, pour lutter contre la monotonie de l'exil et faire la preuve de ses talents militaires, il s'engage, en dépit de la résistance de sa mère, dans les rangs de l'armée anglaise. Il se rend en Afrique australe pour y réprimer une révolte des Zoulous, avant de succomber dans un guet-apens, sous leurs flèches, le 1er juin 1879. Elle était la fille d'une fille de chambre d'Hortense de Beauharnais, mère du futur empereur. Élevée près de lui, elle garda longtemps une grande influence en l'encourageant vers la politique.
Elle lui apporta des livres à la prison de Ham et prit des notes pour ses travaux d'étude. Érudite, avec du goût pour l'archéologie, elle publia elle-même des ouvrages d'histoire et de littérature, et tint un salon couru. Républicaine, elle prit toutefois ses distances de Louis-Napoléon après le Coup d'État de décembre 1851, et ouvrit elle-même un salon aux ennemis de l'Empire.
Elle se rapprocha cependant de l'empereur après la campagne d'Italie, et fut à nouveau admise dans sa familiarité en 1862. Née Hortense Lacroix, elle avait épousé en 1834 le peintre Sébastien Cornu.Elle mourut dans la gêne, à Longpont-sur-Orge, le 16 mai 1875.