A. LEGER SAINT-JOHN PERSE Lettre autographe signée. Son départ de Hawaii

  
La librairie Autographes des Siècles est spécialisée, depuis de longues années, dans la vente de lettres autographes, et de manuscrits. Lettre autographe signée à Hélène Berthelot.

« Je n'ai pu résister à l'appel de ces climats, dont je porte en moi la nostalgie comme un mal. On ne guérit pas du mal d'être né insulaire. « Chère Amie, Ma pensée me devance sur les mers. Je veux vous dire combien elle est vivante et proche. Quatre ans et demi d'éloignement n'ont fait que m'éclairer sur les affections que je retiens au meilleur de moi-même.

Celle-ci a grandi simplement avec la vie, avec le temps, comme si je ne m'étais point éloigné. Vos lettres, remises par différents messagers, m'ont été douces et je vous y ai retrouvée pareille à vous-même. À vous, je me serais confié souvent, plus qu'il n'est dans ma nature de le faire, si la correspondance n'était si peu sûre entre la Chine et la France. J'ai aimé l'intuition que vous avez eue de m'envoyer un jour ces images de votre intérieur. J'y ai souvent recherché, en pensée, l'intimité de votre accueil et la réconfortante amitié de votre mari.

Dans tel coin reconnu, parmi des choses dont la beauté, m'est familière, j'ai été vous attendre en compagnie de mes amis les chats. Faut-il vous dire encore que j'ai volé, il y a un an, des photographies de vous au jardin, trouvées chez la Générale Dan? La photographie au puits et celle au buisson sont celles, pour moi, qui vous révèlent le mieux. J'ai eu souvent des échos de votre vie officielle ou mondaine à Paris. Fatigues et sourires : vous aurez su toujours vous en acquitter avec grâce.

J'ai écrit récemment à votre mari. On m'a beaucoup parlé de lui, à Tokyo, au ministère des Affaires Étrangères.

Je serai à Paris un peu plus tard que je ne lui ai dit : le 7 juin. [je pense m'embarquer à New York le 28 mai]. Mon adresse provisoire : chez M. Dormoy, 5, avenue Alphonse XIII. Ma première visite sera pour vous.

Je m'arrêterai quelques jours à Washington où j'ai à voir du monde. Je rentre d'une navigation fatigante, mais merveilleuse, dans les mers du Sud.) Et je me repose quelques jours dans cette île, en plein Pacifique, d'où je vous écris. Je n'ai pu résister à l'appel de ces climats, dont je porte en moi la nostalgie comme un mal. On ne guérit pas du mal d'être né insulaire, et je crois naïvement qu'un homme a raté sa vie quand il n'a pas su, à 30 ans, s'assurer assez d'indépendance matérielle pour passer le reste de sa vie sur les mers, dans un navire lui appartenant. J'ai été infiniment désolé d'apprendre à Tokyo que Claudel arrivait en juin et que je ne le trouverai plus à Paris. J'y comptais absolument, sur la foi de nouvelles annonçant son départ en septembre. C'est une grosse déception pour moi, car mon affection pour Claudel est profonde et, s'il est de ceux envers qui je me crois autorisé au silence, j'ai fait parfois, et suis prêt à faire, bien du chemin pour aller causer un moment avec lui, d'homme à homme. Je souhaitais aujourd'hui de pouvoir le faire longuement, au sortir de mon long exil et de mon long mutisme. Dites-lui simplement, si ma lettre vous parvient à temps, que mon attachement demeure aussi vivant, et que j'ai vécu tel qu'il m'a connu, dans ce pays de Chine qu'il a connu, et où il sait que la notion de temps n'existe pas. Chère Amie, est-il vrai que je revienne de si loin? Peau tannée, cour brûlé et beaucoup de bonne humeur : je rapporte tout cela. C'est une grande douceur pour moi, de penser à l'amitié que je retrouverai chez vous et chez votre mari.

Par ailleurs, la vie m'a durci contre les hommes : puissé-je un jour trouver l'emploi de cette dureté contre ceux qui m'écoureront trop. Je ne pense pas sans émotion que je vous téléphonerai bientôt de Paris pour vous demander une heure où vous voir. De tout cour, mille bons voux pour tous deux.

Votre mari m'a donné une preuve d'attachement dont je demeure profondément touché. Il a tenté pour moi de l'impossible, et c'est assez qu'il ait trouvé le temps de penser à moi au milieu de ses occupations actuelles Je reconnais son influence personnelle dans la fermeté inattendue de la politique de Briand. Je ne lui demande plus qu'une chose, que j'espère possible. Il en est meilleur juge que moi, qui ne puis juger que de l'importance que j'y attache. Mais avant tout, je lui demande, comme à vous, de me garder toute confiance et toute amitié.

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